Les collages rue d'Arras
ont été "colonisés"
par de l'afffichage politique
Vadrouilles a répliqué a sa manière
Vadrouilles fait parler les fenêtres, ou plutôt les murs......
Visible au 10 et 67 rue d'Arras
Les dessins sont réalisés avec les adhérents de La Belle Journée (GEM, 10 rue de Wazemmes) atelier encadrés par Cécile Richard.
Les textes, les autres visuel, carte mail-art... font partie des productions des divers ateliers et projets de Vadrouilles encadrés par Brigitte Adgnot et Cécile Richard.
Merci à Sdez pour sa contribution plastique, ses collages singuliers...
proposition de Brigitte
proposition de Martine
proposition de Sdez
les phrases de Fanny
proposition de Manon
proposition d'Odile
LA GRANDE ROUE
(Fanny Hallet, 1er prix)
Blanc. Ça me fait mal tout ce blanc. Étau dans ma tête. J'ouvre les yeux. Trop de blanc. Je ferme les yeux. Mâchoire serrée, tuyau dans le nez. Merde, j' comprends pas, J' peux pas bouger. Blanc. J'ai mal. Blanc.
Noël. Depuis un mois déjà effervescence en ville. Passants pressés, chargés, surchauffés. Les lumières scintillent, les marrons chauds grillent et les cabanons du marché de Noël grouillent de monde. Depuis un mois déjà, je te découvre. Toi, bel homme ou plutôt pas trop, charmeur surtout, discret, assez cultivé. Rencontré chez Laurence lors de sa crémaillère. Drague à l'ancienne loin des rencards à coup de SMS. Il a fallu presque trente jours pour que tu te décides. Et qu'on se retrouve un soir sur la Grande Roue. On a quitté pour un tour l'agitation d'en bas, on a quitté pour un second tour le brouhaha terrestre. Et dans le vent glacial de décembre, tu m'as embrassé en murmurant « je t'aime ».
Ensuite? On a fait comme tout le monde. On s'est juré d'y croire. Et sans s'en apercevoir, on s'est retrouvé étrangers. On est passé de l'appartement exigu à la maison lumineuse. On s'est marié, on a acheté une Renault 5 rouge, on a déménagé à Besançon puis Louise est née. Louise, ma belle Louise. On est passé à l'Opel Vectra. On avait un jardin alors on a pris un chien. Un boxer parce que c'est gentil avec les enfants. Louise, elle, a réclamé un lapin nain. Blanc.
La Grande Roue tous les ans elle
tourne. Je la regarde d'en bas. Le charme est rompu, place aux compromis.
Maintenant on a même un sèche-linge et une Mégane avec la clim. Tu trouves que
pour l'été avec la gosse c'est bien pratique.
Je ne me plains pas. Christian et Corinne viennent de se séparer bruyamment; le fils d'Antoine triple sa première et Cédric lutte contre un cancer. Y a juste des jours où j'aimerais que la magie s'opère aussi pour nous. Tu crois que je tente une lettre au Père Noël ?
A nouveau décembre. Louise feuillette les catalogues de jouets qui ont envahi la boite aux lettres. Découpage, lettre au Père Noël sur du papier rose, parsemé d'extraits de catalogues et enveloppe pailletée à souhait. Au dos son adresse cernée d'un cœur. Rose.
Le repas est terminé, la montagne de cadeaux s'est fondu en un champ de bataille d'emballages et de rubans. Chacun regroupe ses présents dans un coin. Tu m'as offert le dernier Gavalda, j'ai renouvelé ta bouteille de parfum annuelle. On s'est embrassé. Et tu as murmuré « je t'aime ». J'ai eu besoin du vent glacial et j'ai proposé à Louise de tester de suite son nouveau vélo.
Comme elle est fière et belle à pédaler dans le froid. Toi, ton baiser m'avait offert un voyage dans le temps. J'ai revu ton sourire dans les lumières qui scintillent.
« On fait la course, Maman? »
« D'accord ! D'accord pour un autre tour, d'accord pour un cornet de marrons grillés. En avant pour la magie. » Les roues de Louise tournaient vite comme la Grande Roue dans mon esprit. En route pour les promesses, le futur est à nous. Moi aussi, je t'aime...
Deux phares dans la nuit brusquement.
Noir.
REVE D'UN DEUX ROUES
(Françoise Coopmann, 4ème prix)
- Dis maman ! Je l’aurai quand le beau vélo bleu que nous avons vu dans la vitrine ?
C’est vrai ! Je sais à peine rouler… Et mes frères ? Comment ont-ils fait ? Dis-moi !
Je sais ! Tu as décrété une fois pour toutes que j’ai la tête à l’envers, que je papillonne, que mes pensées s’envolent jusqu’aux nuages, qu’elles ne connaissent pas les limites du ciel… Que je suis un danger pour moi-même et pour les autres… Mais, les autres, ça m’est bien égal ! Le vélo c’est la liberté maman ! Aller où je veux, m’arrêter quand je veux ! Fendre l’air et sentir mes muscles et mes membres se tendre à chaque tour de pédale. Il faut bien que le corps exulte ! Elle voudrait tant dire tous ces mots. Rien à faire ! La conversation est close.
Certains soirs, elle cherche le sommeil. Sa tête l’emporte. Elle rêve qu’elle chevauche hardiment sa monture légère et docile. Elle se dresse. Fière. Un sentiment de toute puissance envahit son âme jusqu’au vertige. Son corps l’emporte loin, très loin. Elle vole à la ferme. Elle aime ses odeurs sauvages. Effrayés, les chats se dispersent à son arrivée. Les poules battent des ailes, courent se réfugier dans les arbustes. Elles caquètent et ça la fait rire. A peine a-t-elle mis le pied à terre que le silence retombe. Un meuglement déchire l’air. La vache penche calmement la tête vers l’herbe de la prairie. La bride sur le cou. Elle peut inspirer, expirer. Son âme s’ouvre. Ses sens sont en alerte. Les vagues grondent. Les nuages s’emballent. Les feuillages tremblent. La vie palpite.
Seulement voilà ! Tu ne m’entends pas, maman ! Ou bien peut-être entends-tu résonner en toi les sirènes qui emportaient papa dans la nuit. L’ambulance et le bruit métalique de ses portes, l’agitation autour de la civière où il était étendu ? Mais, tout cela c’est du passé. Oui ! tu l’as déjà dit – du passé qui ne passe pas ! Aujourd’hui c’est aujourd’hui ! Je veux continuer à vivre. J’ai dix ans et je suis grande !
Combien de fois n’a-t-elle pas tourné et retourné ces pensées ?
Combien de fois n’a-t-elle pas senti son corps prisonnier, ligoté par des chaines dorées ?
Combien de fois n’a-t-elle pas retenu ses larmes de rage, contenu ses cris de fureur ?
Juguler ses muscles dans de douloureux efforts, elle avait beau s’y entraîner, elle ne se résignait pas. Mais vivre n’est-ce pas un combat, un corps à corps, cœur à cœur sans merci !
Elle faisait semblant – jouait à l’enfant raisonnable. Etrangère, loin d’elle-même, en somme, elle se retirait et devenait muette, absente à elle-même et aux autres.
Parfois, elle se surprend… ses pensées sont laides, très laides !
« Et si maman disparaissait ! Je veux qu’elle meure. La solitude ne me fait pas peur »
Les longues nuits sans fin lui reviennent en mémoire. Son corps s’installait dans l’éternité, se pétrifiait, devenait pierre immuable, matière inerte et sans voix. Son père venait de disparaître.
Alors, elle ferme les yeux pour apaiser ses tourments. Elle convoque son visage d’abord. C’est son sourire qui la console. Puis il avance vers elle d’un pas tranquille. Il la prend dans ses bras.
Le temps. Les plaies se referment. Enfin pas vraiment ! Non aujourd’hui la rage dévore son esprit. Elle a envie de hurler : « Les mères sont-elles toutes aussi têtues ? »
Dans le tréfonds de son âme, elle sait bien que la bride sur le cou, elle glisserait sur la route, cheveux au vent, à tombeau ouvert. Elle regarde les roues tourner, dans sa folie, à vive allure. Elle entend les pneus crisser. Rien ni personne ne la retient…
Aujourd’hui, elle peut aller au lycée, en roue libre sur le tout dernier modèle de fauteuil roulant que sa mère lui a offert.
Eros Positif
(Carole Fives, 5ème prix)
Travailler plus pour gagner plus, quel manque d’imagination ce nouveau référent RMI. Sa tête tout de même, quand je lui ai sorti que moi ce qui me bottait, c’était plutôt dormir plus pour rêver plus. Je préférais avant, quand c’était Jean-Rémi mon référent, avec lui au moins on pouvait parler. Sale temps pour les rmistes, à croire que la chasse est ouverte. Le prix du baril, le trou de la sécu, le panier de la ménagère… Et le caddy du rmiste, ils y pensent ?Pas facile de manger équilibré avec 437,12 euros par mois, et je vous assure qu’il vaut mieux avoir son temps pour dégoter un bon steak pas trop ruineux…
Enfin, le trou de la sécu, je risque pas d’y être pour grand chose parce que depuis que je travaille plus je suis en pleine forme moi.
Je suis photographe. Avant, je faisais mariages, communions, enterrements…Mais j’en ai eu ma claque de tout ça, les mariés, ça me faisait flipper, et les cadavres dans leur linceul c’était un peu mieux mais si mal payé… Les gens préfèrent investir dans le bonheur que dans le malheur, ça se défend…C’est fini tout ça, maintenant je suis artiste, je photographie ce qui me plaît.
Et ce qui me plaît, voyez-vous, c’est le nu. Qui dit nu dit modèle. Alors je passe la majeure partie de mon temps à chercher mes modèles.
Je me suis fait des petites cartes, Tarantino Verotti, Photographie plasticienne, 06.12.36.12.36. J’en ai distribué plus d’une centaine la semaine dernière, et toujours aucun appel, j’ai même fait vérifier ma ligne téléphonique.
Je travaille sur une nouvelle série, Arcimboldo Sex Toys, avez-vous déjà remarqué la proximité entre le corps de la femme et certains fruits et légumes ? J’ai déjà trouvé ma femme poire, je suis très content des tirages que j’ai faits avec Annette, une contre-plongée sur ce dos… un contraste sublime.
Elle aussi semblait plutôt réjouie d’ailleurs, elle m’a dit que poser l’aider à décomplexer. Mais avec ce corps, pas de quoi complexer ma p’tite…
Arcimboldo, peintre maniériste italien, 1527-1593, auteur de portraits à base de fruits, de fleurs, de poissons…
Il a pas eu l’air de bien comprendre mon référent quand je lui ai sorti les clichés.
« Rangez-moi ça tout de suite ». Il bafouillait « c’est votre travail, ça ne me regarde pas ». A croire qu’il a aucune référence ce référent.
J’aurais bien aimé qu’il regarde un peu pourtant, ou qu’il fasse semblant… comme Jean-Rémi. Il était sympa Jean-Rémi, il avait toujours des tickets de cinéma à me donner, alors qu’avec lui…
« Mais qu’est-ce que vous croyez Mr Tarantino, que vous n’avez que des droits ? »
-Verotti, Verotti, Tarantino c’est mon prénom.
-C’est ça Mr Quentino…
-Là vous confondez avec le réalisateur.
-Ah bon Mr Tartinetti, ces tickets de cinéma, c’est une faveur que vous octroie la municipalité, quand elle en tient à sa disposition, ce qui n’est pas le cas en ce moment…
Dommage, moi j’aime bien emmener une fille de temps en temps au cinéma, même si c’est pas vraiment évident avec leur système, il faut retirer les places à l’avance… Pas facile ensuite d’annoncer à cette petite brunette que le coréen sous-titré faudra pas y compter parce que moi j’ai deux places pour le dernier Woody Allen, et basta.
Je peux tout de même pas lui demander des rallonges pour me payer des modèles à mon référent… Quand il s’agit de se promener à moitié nues dans la rue, pas de problème, mais dès qu’on leur demande de poser. Et c’est pour quoi ? Pour un magazine ? Une exposition ? Et c’est payé combien ? Et c’est nue, vraiment nue ?
Ecoute ma p’tite, t’as bien vu que tu n’es pas plus top model que je ne suis Karl Lagerfeld, alors non, pas d’expo, pas de magazines. En revanche, si tu connaissais un petit squat bien éclairé ça pourrait m’arranger parce que dans mon studio en rez-de-chaussée, pas évident de trouver une belle lumière…
Blaireau fut la seule réplique de cette grande blonde que j’imaginais déjà en femme banane. That’s it ma p’tite, that’s it…
Enfin les temps sont si durs que j’ai été forcé de trouver de nouveaux concepts, sans modèles si possible. Et j’ai trouvé, je vais photographier des capotes, des préservatifs, usagés ou pas, que je stocke dans mon frigo.
Le liquide séminal et le plastique, je m’attends à de beaux effets de transparence…
C’est ça qui m’intéresse dans le travail de photographe, me surprendre moi-même ! J’ai déjà trouvé le titre de la série - faut dire que je suis très fort pour trouver les titres – ce sera Eros Positif. Vous avez compris ? C’est l’anagramme de sero positif. Dès que c’est dans la boîte, je propose ça à Act dep, et en avant toute la nouvelle campagne contre le sida. Je vous parle même pas du budget !
Je voudrais bien voir la tête qu’il va faire mon référent quand la manne va tomber. Je lui ferais, et oui, avec quelques capotes et beaucoup de talent…
Des fois, je me demande si je fais pas tout ça juste pour ce moment là, juste pour voir un peu de respect dans ses yeux à mon référent. Parce que là, je le sens bien leur mépris, à tous, ça prend tellement de place des fois… Mais je me dis qu’être artiste c’est ça, n’écouter que sa petite voix intérieure, en free style, en roue libre, en live, comme vous voulez mais précisément, pour forcer le respect dans le regard des autres.
Enfin, en attendant faut que j’y aille, y’a un vernissage rue Oberkampf, ce sera encore blindé de minettes, et je dois absolument trouver ma femme pomme moi…
Qu’est-ce que c’est que tout ce monde dans les rues, ils vont où tous ces gens ? Ils travaillent pas ? C’est pas sérieux tout ça, allez, retournez dans vos bureaux, laissez bosser les artistes tranquillement…
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